Mauro Armanino de l'Observatoire migrants en détresse
« Si on facilite la mobilité, la personne peut aller et revenir comme l’expatrié le fait »
Phénomène inhérent à la nature humaine, la migration, notamment des ressortissants de l'Afrique vers l'Europe fait depuis quelques années l'objet de plusieurs mesures pour réduire le « flux » de migrants. Dans l'interview qui suit, Mauro Armanino revient, sans langue de bois, sur plusieurs aspects liés à ce phénome.
Comment doit-on vous présenter ?
Je m’appelle Mauro Armanino. Je suis de l’église catholique, originaire d’Italie, appelé au Niger par Michel Kartatégui, alors Evêque du Niger. Il m’a appelé ici pour un service bien spécifique aux migrants. J’ai débarqué à Niamey en avril 2011, justement avec ce cahier de charge pour tenter de répondre à l’appel des migrants.
On vous présente aussi comme défenseur des droits des migrants.
C’est évident. Moi, je pense qu’on ne peut pas travailler avec des migrants sans en même temps se charger de ce qui entoure la migration. Nous savons, un des miroirs de notre société, c’est-à-dire ce qui se passe dans le domaine de la migration, nous regardons comment fonctionne la société.
Selon vous, qu’est-ce qu’un migrant et un migrant en détresse ?
La définition de migrant n’est pas de moi. L’OIM, qui est l’organisation désormais onusienne, qui s’occupe de la migration le défini comme toute personne qui quitte son pays pour aller dans un autre pays, qui est en transit. Donc, toute personne qui utilise le droit de la mobilité en quittant et en passant dans un autre pays, on peut le définir ainsi. Evidemment, quand on part de migrant en détresse, on focalise notre attention sur une catégorie particulière que nous appelons les vulnérables. Qu’est-ce que nous entendons par là ? Nous entendons par là, toute personne en situation, qui a subi une souffrance, abus dans le domaine des droits humains, manque de respect de droit le plus élémentaire et fondamental (détention, viol, vol et tout ce qui s’en suit) soit par emprisonnement, soit par déportation forcée, notamment les refoulements qui provoquent dans la personne des blessures soit dans le corps soit dans l’esprit. C’est à ce titre que nous avons fondé depuis quelques années, avec d’autres
entités, l’Observatoire migrant en détresse qui essaie justement de prendre au sérieux les cris souvent silencieux de ces personnes.
Pouvez-vous nous citer quelques droits de migrant ?
Le premier, le fondamental, se trouve dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (art 13) où on rappelle que toute personne a le droit de quitter son pays et de revenir. Nous pensons que c’est l’un des droits fondamentaux, le droit à la mobilité. En réalité, tout abus dans la démocratie commence par une attaque à ce droit-là. Même à l’occident, qui se présente comme le référent de la démocratie, ce n’est pas par hasard que justement, c’est la mobilité qu’on a attaqué ces derniers mois à cause du COVID où on empêche aux gens d’aller et venir librement, de vaquer à leurs occupations, mais on essaie de les contrôler. Je pense que c’est un signe d’une démocratie malade.
Le Niger s’est doté de la loi 035 sur la lutte contre le trafic d’être humain. Quel commentaire vous suscite l’adoption de cette loi ?
Il faut d’abord insérer ce texte dans son contexte. Le contexte le plus récent, c’est la rencontre Europe/Afrique de la Valette en 2015. Au cours de cette rencontre, on a énoncé au moins quatre points autour desquels doit s’inscrire la lutte contre la migration clandestine.Celle qui participe à l’externalisation des frontières en quelque sorte. En facilitant la sous-traitance de ce thème pour arriver aux racines du terme de migration, avec des activités soit disant de développement qui devraient ralentir le flux de migrants, des gens qui s’en vont de leur pays vers l’Europe ou ailleurs.
La loi 036 a été adoptée dans ce contexte. C’est un hasard ? Je ne le pense pas. C’est dans cette optique de sous-traitance de thème migration où les gens, avant même d’arriver à Agadez, sont arrêtés, dépouillés de l’argent qu’ils ont, reconnus comme de potentiels migrants, presque des potentiels criminels. On les donne à l’OIM pour les faire retourner chez eux. C’est ça le processus qui arrive avec les refoulés de l’Algérie. La plupart vont à l’OIM et ils sont renvoyés dans leurs pays.
Nous vivons cette grande contradiction où d’un côté le Protocole de la CEDEAO sur la libre circulation des personnes et des biens est garantie et de l’autre côté, nous voyons que cette loi rend compliqué, sinon impossible ce type de mobilité. Nous avons l’Algérie dans sa politique de refoulement, la Tunisie nous connaissons le problème qu’il y a, au Maroc c’est à peu près la même
chose où on rend la vie compliquée aux migrants.Et n’en parlons pas de la Libye après le coup de force contre Kadhafi. Le pays était parmi les plus riches en Afrique du nord et pas seulement. Mais il a été complètement détruit. Il y avait des milliers et des milliers de migrants qui travaillaient sur place mais qui n’ont plus cette possibilité. Ce qui a créé un problème de sécurité dans la sous-région. Les migrants se sont retrouvés détenus dans ces camps financés par l’occident et dans lesquels l’Union africaine brille par son silence assourdissant depuis quelques temps.
Est-ce que les dispositions de cette loi cadrent avec les objectifs de votre association ?
Elle est fonctionnelle aux intérêts occidentaux. Quel est l’intérêt du Niger dans ça ? En effet, le Mali n’a jamais accepté d’être sous-traitant parce qu’il a une grande tradition migratoire vers l’occident qui n’est pas la même au Niger, où la migration est surtout orientée vers la côte ou, avant, vers la Libye. Les gens se retrouvent bloqués et c’est un droit qui est bafoué au-delà de la situation que la Libye et les autres pays vivent. Notre service d’accompagnement aux migrants a ce double focus résumé dans cette phrase : Libre de rester et libre de partir. Nous pensons que ces droits doivent être respectés sans condition.
Le Niger s’est aussi doté d’une Politique nationale migratoire
Il y a eu ce document de Politique nationale migratoire qui était préparé pendant de longues années. Disons, c’est une première tentative de donner un cadre général qui puisse réglementer la gestion de ce fait au-delà du phénomène que nous n’allons pas arrêter ni aujourd’hui ni demain, parce que c’est existentiel de l’être humain. C’est une première tentative. Je pense qu’on a besoin d’autres documents spécifiques. Mais au moins, le document a l’avantage de ne pas présenter le migrant en le criminalisant. Il a aussi de bénéfices en termes culturel, en terme financier, en termes sociaux. Evidemment, il faut l’insérer dans ce contexte dont j’ai parlé où nous sommes passés de migrant comme un exodant, un aventurier, un clandestin, un illégal, un irrégulier et finalement un criminel. Comment on a pu en arriver là en moins de dix ans ? C’est parce qu’on a su manipuler le langage, parce que celui qui a le pouvoir a pu raconter sa façon de concevoir la migration.
Migration clandestine, irrégulière. Quel terme peut-on finalement retenir pour parler de la migration ?
La migration fait partie de la vie et de l’histoire humaine. Migrer, c’est vivre et vivre c’est migrer. Autrement dit, la migration est essentielle pour notre identité humaine. Nous savons que le peuplement de la planète, selon une recherche scientifique, est né en Afrique où nous trouvons les traces les plus anciennes de la présence humaine. Alors, pourquoi on doit arrêter ce type de processus ? Le problème, c’est comment accompagner le mieux possible ce processus du point de vue social et financier ? Prenons un exemple simple : aujourd’hui, c’est pratiquement impossible de migrer en Europe d’une manière normale. Les obstacles sont nombreux et c’est impossible si on n’a pas des gros moyens. Cela ne fait que faciliter aussi des détournements. On facilite aussi le travail des passeurs et bien d’autres choses. Alors, pourquoi ne pas arriver à règlementer de manière différente la possibilité d’aller et de revenir ? Si quelqu’un a mis plusieurs années pour franchir la mer et arriver de l’autre côté, une fois qu’il y est, il ne va pas revenir. Or, si on facilite la mobilité, la personne peut aller et revenir comme l’expatrié le fait. L’expatrié est aussi un migrant, mais c’est un migrant qui a la possibilité de revenir parce qu’il a l’argent. Il fait partie de ce petit noyau de personnes qui ont le privilège de voyager sans demander la permission.
Une question que les politiciens doivent se poser : pourquoi les enfants ont envie de quitter leur pays ? Qu’est ce qui ne va pas dans leur pays ? Cela nous interpelle aussi. Nous devons nous demander que faisons-nous des futurs des jeunes ? On est en train de le voler.
On accuse les jeunes de déstabiliser les frontières tracées. Quel commentaire cela vous suscite ?
Toute frontière est un choix politique. Qui décide des frontières ? Ce sont ceux qui ont le pouvoir. Les migrants, à leurs manières, contestent ce type de division du monde. Ils disent la seule vision, c’est de passer les frontières. C’est la seule migration des frontières qu’il faut casser.
Quelle analyse faites-vous de la migration dans un contexte de la COVID- 19 ?
Je pense qu’il faut distinguer l’aspect médical et l’aspect politique quand on parle de cette pandémie. Du point de vue médical, nous savons que cette maladie existe, elle fait un certain nombre de ravage, surtout au niveau d’une certaine classe d’âge avec des comorbidités. Nous savons aussi qu’il y a des systèmes pour soigner, la vaccination vers laquelle nous sommes tous amenés
plus ou moins. Puis, il y a la politique autour de la COVID qui a impliqué la fermeture des frontières, le couvre-feu, le confinement qui ont pratiquement contribué à détruire des économies qui étaient déjà fragiles, et c’est aberrant parce que cela n’a rien de scientifique. Mais c’est de choix politique que nous allons payer aux jeunes générations. C’est quelque chose d’extrêmement grave qui devrait, de mon point de vue, faire intervenir la Cour pénale internationale parce qu’il y a eu des abus de pouvoir. Je pense que nous devons nous interroger sur la manière dont la démocratie fonctionne dans le domaine de la santé avec l’OMS qui est complètement corrompue et dans les mains de ceux qui le finance.
Un occidental dans la peau de défenseur de migrants ouest africain. Cela ne vous gêne-t-il ?
La première chose qu’il faut comprendre, c’est que je suis en Afrique de l’ouest depuis 30 ans. J’ai fait 10 ans en Côte d’Ivoire, 7 ans au Libéria et c’est ma onzième année au Niger, donc j’ai le droit de parole. Deuxièmement, je suis ici en tant que pasteur en ce sens que j’ai le privilège d’appartenir à deux mondes. Mais le monde que j’ai choisi pour regarder le monde, c’est le sud. Donc, c’est à partir d’ici que je juge l’occident, d’où je viens et je vois clairement ce que l’occident est en train de faire pour perpétuer son pouvoir. Moi, je ne suis pas du côté du pouvoir. Je suis du côté des opprimés, ça c’est mon choix de vie. Je pense que le vrai pouvoir, c’est avec les opprimés, c’est à partir de la faiblesse des opprimés et pas à partir du pouvoir du plus fort.
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